PROLOGUE

Jorel Thulsen · 01 - Prologue

Au bord du monde depuis le rivage D’Urartu

L’être qui est à l’origine de ce conte est un vieil homme qui veille au sommet d’une montagne rocailleuse. Il vit sur son promontoire au bord de l’océan comme un aigle en son aire.
Il décrit les paysages et les personnages de son récit sans quitter l’horizon du regard. Le flot de ses paroles ne se ressasse jamais, l’action qui anime son histoire ne cesse pas, il ne pause ni ne se repose. De mémoire d’homme, il ne semble pas dormir non plus. Il offre ainsi à entendre un récit dont personne ne saurait connaître le commencement et dont la fin semble tout aussi inaccessible aux mortels.
J’eus le privilège abominable d’être admis à contempler le bord du monde avec lui un court instant de sa vie infinie. J’en profitais pour prendre quelques notes, ici grattées dans la cire de mes tablettes, là posées sur une ardoise ou encore trempées à l’encre sur des vélins que j’avais amenés avec moi.
Si je trouve aujourd’hui ce souvenir presque insupportable, c’est que je ne pouvais cerner le début de son histoire ni en percevoir la fin. M’attendait ailleurs une destinée que je savais déjà trop courte, pour qu’il soit utile de rester auprès de lui.
J’ai donc commis les approximations nécessaires pour être capable de vous livrer et vous transmettre ce que j’ai pu ramener de cette falaise abrupte et impossible, en le tenant fébrilement au creux de mon ventre.
Au pied de ce monticule érigé en monument, des galets et des graals de toutes tailles blessent les pieds des voyageurs qui ont osé se risquer jusque-là.
Sur le rivage on voit une cabane où la fille, une des filles de l’Ancien, veille et attend qu’il daigne enfin la regarder. Le vieux pourtant ne fixe que l’horizon, encore et toujours et chaque jour. Cette femme se contente le plus souvent de toiser dédaigneusement les étrangers à leur arrivée, les ignorant volontairement.
Elle prend en revanche invariablement soin de ceux qui redescendent du sommet lorsqu’ils sont parvenus à l’atteindre, peu importe le temps qu’ils y ont passé. Elle les remet alors debout, les soigne et leur offre de reposer leur tête dans sa cambrure, avant de repartir vers d’où ils venaient, ou plus souvent, de mettre le cap vers de nouveaux espoirs.
​De ce lieu commun à toutes les réalités, de ce récit de tous les récits, on peut tirer quelque enseignement tout aussi commun : ce qui nous rassemble surpasse ce qui nous sépare.
Ainsi depuis des générations l’humanité se rassemble autour de la même coupe alors qu’elle se disperse dans l’eau de la même épée.
Depuis que le souvenir existe, le conte apaise l’esprit quand le silence l’effraie. La guerre et la peur, le vieux barbu les a oubliées, mais du bord du monde, il les conte et les raconte tout de même, en jetant à l’eau, les coupes et les épées…

LE MYTHE LA LÉGENDE LE CONTE

Jorel Thulsen · 02 - Le Mythe la Legende le Conte

Une coupe d'eau douce abîmée en un océan d'eau salée

Une fois diluée dans l’onde des pensées humaines, une légende est bien souvent amplifiée par celles-ci. Celles qui lui succèdent sont dès lors teintées de son eau particulière… Celle qui nous occupe fut versée par toutes les rivières du monde, pour être mélangée à toutes les autres histoires humaines et ensuite réanimée par une épée au nom trop célèbre.
Une épée qui termina son mouvement brutal, enfichée dans un récif, déçue d’avoir trop attendu de rejoindre son porteur... Dès lors son histoire fut connue de tous. Cette légende, versée à même l’océan mythologique, d’une façon assez exceptionnelle, est encore dans sa coupe plus d’un millénaire plus tard.
Elle est d’une eau si lourde qu'elle en est restée là, au fond de cet univers mouvant, encore préservée dans son intégrité première malgré l’oubli et les idéologies. Sa trace se dissimule dans différents récits, parce que son parfum fut transporté par de nombreux courants, jusqu’aux rivages de galets qui forment les paysages dévastés du monde d’aujourd’hui.
Le Jarl Jörel, qui régna peut-être sur Thulé, décrivit le monde féerique dont la Bretagne est l’île principale, grâce à la vue qu’il avait sans doute, depuis la fenêtre de sa tour. Autre vieil homme, autre monument, même histoire. Sa demeure était juchée sur un récif au bout de la mer du nord, là où le septentrion change de nom sans mot dire.

Depuis son aire le roi de Thulé raconte

Il expose dans ses mémoires comment l’univers tourne autour de la Table Ronde, comment les strates où s’entassent les vivants et les morts, s’imbriquent les unes dans les autres depuis les Enfers grecs jusqu’au « silence des espaces infinis ». Les descriptions de Jörel ne sont pas d’après nature. Il envisage le monde depuis son propre domaine et ne prétend jamais dire la vérité. Il conte surtout ce qu’il voit et ce qu’il ressent comme il le dirait à la veillée.
Vous ne trouverez ci-après que les secrets qu’il souhaita laisser arriver jusqu’aux humains, car comme il le dit souvent dans ses écrits : « toutes les légendes ne sont pas à connaître car toutes les malédictions ne sont pas à proférer ».
Dans ses chroniques, il annonce les êtres tel un héraut le ferait pour des invités à une célébration, chacun ayant une place par ordre d’importance, ou chronologique. Car souvent le monde est ainsi plus empreint de logique et de méthode que ceux qui le peuplent et l’animent.
Ensuite, une fois posé cet univers qui tient dans la Coupe des Coupes, il poursuit en expliquant comment aller voir au-delà du bord du calice, au-delà du bord du monde… Aurez-vous le courage de suivre le fil du récit ? Saurez-vous suivre vos propres pas et vous promener sur le rivage du Graal, pour boire et danser sans jamais renverser l’eau sacrée qui anime la légende ?

L’HERITAGE ARTHURIEN

Jorel Thulsen · 03 - L Heritage Arthurien

L’insurpassable idéal du roi pêcheur

Les souvenirs de nos protagonistes leur appartiennent. Qu’il soit cependant dit que ce qui suit, demeure dans les mémoires de tous les êtres qui respirent encore l’air de la Grande Île de Britannia…
A l’orée du siècle précédent, un enfant né d’un adultère est caché (volé disent certains). Il disparaît des linges dans lesquels il était emmailloté non loin du lit de sa mère, la Reine Ygraine, durant l’hiver qui suit sa naissance. Le fils d’Uther Pendragon, enfant d’un adultère, aura donc encore un autre père que l’un ou l’autre amant de sa mère. Quelques années plus tard, à peine assez âgé pour être page, il est envoyé loin au sud pour que son éducation soit faite depuis l’étranger et par l’étranger.
Ce regard et cette distance lui serviront toute sa vie à conserver un pas d’avance sur ses adversaires. Lorsqu’il est tout juste homme entre l’an 410 et l’an 420, il revient secrètement en Bretagne alors que de vilains drôles tels Vortigern et Méléagant terrifient les bretons de leurs actes tyranniques. Ces deux-là vivent depuis bien plus longtemps que Nature ne le permet en principe aux hommes. L’un au sud comme l’autre au nord, ils ont l’île entière sous leur domination en coupe réglée, imposant leur pouvoir sans doute grâce à des maléfices dont le secret est aujourd’hui perdu.
Alors qu’il est tout jeune homme, Arthur est amené par Myrdhinn auprès de « l’épée dans le rocher » et... Il parvient à l’en extirper. Cependant ils n’en font alors aucun cas et gardent cela secret pendant une poignée de lustres. Arthur va alors apprendre et comprendre les récits et les souvenirs, les rancœurs et les rancunes, les devoirs et les honneurs… Il restera silencieux jusqu’à ce qu’il soit capable de prendre la mesure de son héritage et qu’il décide de se révéler à ses frères bretons. Il s'ensuit les guerres que l’on sait. Uther et Agravain s’étaient tant combattus qu’ils avaient ruiné le pays. Leurs deux successeurs despotes, tout en évitant de se combattre, font au moins autant de mal au pays et à sa population. Pourtant ils n’ont plus les Romains à combattre, ceux-là s’étant retirés depuis longtemps. La suite « le monde entier » la connaît.
Une fois revenu au rocher à l’occasion d’un tournoi, Arthur accomplit cette fois-ci publiquement sa prouesse, puis rassemble autour de son épée une fraternité nouvelle. Un cercle de Chevaliers, nommés ainsi pour la première fois de l’histoire celte, le suit donc au combat, successivement contre l’un et l’autre roitelets. Yvain, Lancelot, Galahad, Tristan, Perceval, Gawain, Bohort… Tels sont les noms de ses compagnons, que tous les poètes qui ont conté ses aventures, ont au moins cité une fois.

Orphelins pourtant héritiers

Arthur leur montre la force des Celtes en même temps que l’esprit des Romains. Ces deux trésors incompatibles mais complémentaires lui permettent d’emporter toutes les victoires de son règne.
Durant l’unification de la Bretagne, une fois Vortigern et Méléagant vaincus, se lèvent quelques indigents. Ils sont certes un peu plus dignes, mais hélas pour eux, pas plus puissants que les adversaires précédents d’Arthur. Parmi eux Loth d’Orcanie qui a déjà quatre fils pour venger sa mort éventuelle. A l’occasion d’un siège sanglant, Lancelot et Arthur réduisent à néant cette opposition avec une férocité qui engendre de la pitié dans le regard de Myrdhinn. Du moins est-ce ainsi que ce fut parfois écrit.
Le vieux sage sauve Gareth, le plus jeune des quatre garçons de Loth, et le cache en Aquitaine, comme autrefois il avait occulté le jeune Arthur du regard des Seigneurs Bretons en l’envoyant à Rome. Une fois victorieux sur Loth et ses vassaux, son royaume enfin unifié, Arthur se marie sous les auspices de tous les dieux de la Bretagne, anciens et nouveaux rites associés en une seule homélie. Malgré ces multiples bénédictions, il n’a par la suite pas le moindre héritier, pas même un bâtard en dehors de l’enfant qu’il fait, malgré lui dit-on, à sa sœur Morgane.
C’est sur le tard que le règne d’Arthur montre les faiblesses de cet illustre Roi. Pêcheur malgré lui, piégé entre deux mondes et en face d’un troisième, il ne peut finalement vaincre sa propre légende ni son propre reflet. Mordred, l’enfant qui poussait déjà comme une mauvaise herbe, parvient à l’âge adulte très tôt, bien trop tôt pour que ce soit par nature. Flanqué de sa mère qui lui murmure sans cesse sa magie à l’oreille, il revendique le trône et se dresse contre son père, fort d’une armée levée par des Barons déjà conquis à la cause de Morgane.
La légende s’achève avec le siècle, alors que les Destins parviennent à leur fin. Arthur et son fils s’entretuent sur la bosse penchée du mont Badon et cette double défaite sonne la fin des guerres fratricides entre Bretons. Ce fut aussi, hélas, l’oraison funèbre d’un règne qui reste à ce jour le plus long de l’histoire de la Bretagne.
Le pays se délite ensuite pendant plus de vingt ans, les pairs du royaume redevenant les barons hagards qu’ils étaient auparavant, comme atteints dans leur esprit par la mort de leur fier et illustre souverain. Le Temps entre alors en deuil d’un roi qui fixerait la marche des siècles, jusqu’à ce qu’un jour, un espoir renaisse peut-être enfin...

L’impossible reine Elyr Ann Pendragon

Cinq lustres après la mort d’Arthur, une rumeur commence à se répandre en Bretagne. Il se raconte la même histoire presque partout où l’on peut boire de l’alcool et parier sur des lancers de dés, une histoire impossible.
Une jeune femme a déployé son aura au-dessus de la tête des nobles du pays. Le moindre petit Baron de l’île aurait été vaincu en combat singulier par cette jeune inconnue.
Deux saisons plus tard, ces récits de taverne sont devenus une réalité qui n’est plus contestée et la légende d’Elyr Ann Pendragon prend corps.
Elle retire comme son antécédent, l’épée du rocher. Elle déclare être la petite-fille d’Arthur et serait donc fatalement, la fille de Mordred. Femme anonyme, enfant trouvée, si elle n’avait bâti sa réputation en amont de sa conquête de l’épée, sans doute que personne ne l’aurait crue.
La suite est d’ores et déjà écrite dans les chansons et récits qui racontent Les Noces de Glace et de Feu, car la jeune Pendragon a par ailleurs l’outrecuidance d’aimer le dernier fils de l’ennemi héréditaire de son grand-père.
L’enfant autrefois sauvé du massacre, revenu pour être Roi parmi les hommes, est son promis. Gareth Orkney McLeod serait donc de retour ? Ou est-ce juste une tromperie de plus ? Et si c’est le cas, qui en tire les ficelles ?
Contre tous les oracles, Elyr Ann annonce ses épousailles. Elle convie tous les beaux messieurs et belles dames, Pairs du royaume, à festoyer par là même pour célébrer l’unification de la Bretagne. Tout le monde répond à l’invitation mais il est rapidement évident que tous ne sont pas à la fête, même si le vin coule à flots. Ce mariage était tellement inattendu, qu’il paraît encore comme contre-nature à la plupart des sujets bretons.

LES NOCES DE GLACE ET DE FEU

Jorel Thulsen · 04 - Les Noces de Glace et de Feu

Un beau mariage
mais trop de funérailles

Les Noces de Glace et de Feu du printemps 515 sont d’ailleurs ternies par le sang de plusieurs hôtes dont les morts n’ont pas été forcément résolues ni vengées par la suite.
Quatre illustres personnages ont perdu la vie en ce soir de liesse et c’est un bien mauvais présage qui est, dès le matin, lu dans les nuages encore empourprés des éclats de sang de la veille.
L’unité de la Bretagne est conquise à l’arrachée, mais surtout grâce aux liqueurs servies lors du grand banquet des épousailles et aux vins byzantins renversés sur la Nouvelle Table Ronde. Quelques irréductibles du Pengwern ne plient point le genou devant les forces assemblées de Logres, d’Alba et des Borders, mais cela fut considéré sans réelle importance.
Une fois la fête terminée, on compte au moins quatre morts bien malheureuses, mais qui étaient pourtant désirées par plusieurs protagonistes en présence.
L’invincible Lamorak qui disait la veille à McLeod : « Debout derrière toi toujours, à genou devant toi, jamais ! » est étalé pour le compte par le Chevalier Yvain.
La prêtresse du Dragon de Cambria elle, est assassinée devant les portes de la grand-salle du banquet sans que cela ne coupe pourtant l’appétit à personne. On ne se souvient pas bien quand disparût Moïra qui était venue expressément de son île du Ponant pour assister aux noces. Il se murmure que des hommes des Borders l’auraient transpercée d’une lance !
On peut entendre bientôt dans les tavernes et les chaumières avoisinantes de Pons Aelys et la rumeur enfle les mois suivants, que la Bretagne ne pourrait plus vivre en paix avant longtemps.
Pourquoi ? Parce que le Grand Jarl Hamlet Vanessen, Roi des Danes et suzerain des Jutes, est venu mourir ici en défendant le château d’Elyr-Ann Pendragon. C’était le lendemain de son propre mariage avec Galaudyne O’Eryen Laufey, la cousine germaine de la Reine par Morgane, leur illustre grand-mère commune.
Quatre morts obscures donc qui s’ajoutent aux bûchers funéraires des premiers morts-noyés, des morts dont le mystère reste entier pendant 3 années… Surtout parce que personne ne se donne la tâche d’en éclaircir les mobiles.
« Tout cela irrite les Destins » disent alors les Druides et chantent les Scaldes. Du Septentrion glacé on attend donc un hiver plus rude qu’auparavant, en forme de punition de tous ces gestes impies. C’est en définitive exactement le contraire qui se produit. Il ne fait plus froid du tout. La Bretagne voit ses arbres et ses champs désolés par trop de chaleur et pas assez de pluie. Et cela va durer trois années, tel un « été de douze saisons » !
Tous les bretons ressentent alors la terreur délétère et les passions exacerbées par la sécheresse qui dure de trop… Et les cambriens de se souvenir qu’ils ont perdu deux fois plus que les autres par ce mariage qui se prétendait vertueux.

Deux saisons, l'été, l'hiver, entre les deux l'enfer

A la suite de cette sécheresse, les trois derniers mois du printemps de l’an 518 qui auraient pu sonner comme une délivrance, sont encore pires. Les orages reviennent enfin, au terme de ce qui s’appelle encore le printemps mais n’en a plus la forme ni l’odeur, et noient totalement la terre devenue aride. La pluie tant attendue ne cesse de tomber pendant près de trois lunes.
Alors, les morts mal enterrés, les mortes dédaignées, les corps perdus, les enfants noyés, les anciens dont les descendants ont oublié le nom, tous se relèvent pour venir tuer qui ses petits enfants, qui ses nièces, qui ses fils ingrats ou bien son compagnon assassin...
Cette première vague de morts noyés, comme on les appelle bien vite, fait une blessure béante au cœur du peuple en frappant d’un visage familier toutes les familles de Bretagne... Ensuite la boue, partout la boue et la pestilence des marécages comme en Lombardie, engendrent leur lot de conséquences funestes !
Les mouches et les midges comme importés par les vents du sud qui accompagnent cette averse interminable, se multiplient pour soudain dévorer du breton. On en vient bientôt à regretter la sécheresse.
C’est alors que la mer se prend de jouer elle aussi sa détestable partition dans cet assaut innommable. Depuis le large, des morts noyés reviennent dans les terres, mais ceux-là sont des étrangers. Ces ennemis déjà vaincus et déjà morts réapparaissent donc en Britannia. Des vikings abîmés non loin des côtes à l’est, au nord ceux qui étaient tombés devant les pictes, des hiberniens à l’ouest aussi et… Des romains au sud aurait-on pu croire, mais non... Le sud reste un littoral sûr durant ce conflit magique.
Cependant, depuis les rivières et les puits, on voit encore sortir les morts oubliés, les ancêtres sans sépulture laissés à moisir là sans plus de cérémonie, selon l’humeur de l’élément liquide qui réveille l’enfer. La mort humide vient donc par vagues comme pour engloutir la Bretagne asséchée. Personne ne pouvait prévoir que la grande île serait prise d’assaut par ces cadavres gorgés d’eau.
Les byzantins y reconnaissent la hantise des anciens, l’Enfer des grecs, dont l’élément n’est pas le feu, comme le veulent décrire les apostoliques romains… Pour y réfléchir et aussi pour tromper leur peur, certains en font une plaisanterie de taverne. « Si ces morts étaient embrasés, ce serait peut-être pire mais au moins ce serait propre ».
Quoi qu’il en soit, tout le monde ne croit pas à cette explication sans fondement qu’il y aurait différents Enfers selon le moment de l’Histoire. Car enfin ! Les dieux de l’île de Bretagne n’étaient jusque-là pas grecs et certainement pas romains ! Et maintenant que les envahisseurs et leur dieu unique ont été chassés, les premiers « tôliers » reviendraient détruire leurs propres adorateurs ? Non, la piste divine est froide. De qui et d’où viendra la solution ? Et surtout est-ce que ce sera accompli à temps pour sauver ce qui est encore à épargner ?
Voilà donc la situation qu’affrontent Elyr-Ann et Gareth comme terrible première épreuve de leur règne. Tous les bretons espèrent que ce ne soit pas aussi la dernière. Parmi les plus fervents on trouve évidemment ceux qui se souviennent qu’elle est aussi, par l’adultère qui fonde la légende, une descendante de Morgane.
De nouvelles rumeurs circulent bientôt, peu de gens se taisent encore tant la terreur est omniprésente. Tous s’entendent pour dire qu’en matière d’héritage, l’épée de son aïeul n’était peut-être pas la part que la Reine aurait dû revendiquer. A ce propos, tous relèvent aussi que Morgane et Merlin sont toujours là… Que disent ces deux figures ? Les artisans du retour des Pendragon sur le trône... Quand est-ce qu’ils feront à nouveau quelque chose d’utile pour la Bretagne ces deux-là ?

LES ALLIANCES D'OS ET DE SEL

Jorel Thulsen · 05 - Les Alliances d Os et de Sel

Dos à la mer face à la mort

La résistance des Bretons à leur destin prend corps dans le comté de Wiht à l’été 518, dans le sud de l’île. C’est là que les forces de tout Britannia se sont retranchées pour vaincre ou mourir. Leur état-major est composé des ambassades de chacun des grands vassaux de Pendragon.
En effet, tous les Pairs du Royaume ou presque ont été vaincus à domicile. Ils ont résisté plus ou moins longtemps mais finalement, ils ont tous cédé sous les assauts répétés de l’océan d’un côté et de la mer de l’autre. Fuyant leurs domaines respectifs, ils se sont rejoints sur la route du sud, jusqu’à se retrouver en Wiht, plus bas que le mont Badon. Là, comme archivée à l’ombre de ce pauvre monticule où Mordred et Arthur se sont entretués trois décennies plus tôt, la légende irait-elle se répéter en broyant les Bretons comme un dragon peut mâcher ses mots ?
Certains disent que Welsh/Wallys fut créé pour être un éternel champ de bataille. Peut-être ont-ils raison. Il est donc logique pour les bardes et les scaldes que tout se joue à nouveau à cet endroit, là où la puissance du vrai Dragon semble encore vivace. Il faut dire qu’il a une prêtresse à venger…
Cela ne rassure évidemment personne, car enfin, moins de créatures monstrueuses, serait toujours mieux que davantage ! Le Comté de Wiht avait tantôt été offert en cadeau de vassalité aux Frisons ayant rejoint la Cour de Bretagne sous les couleurs de Mark Ottlander. Trois ans plus tôt, encore Général Mercenaire à la solde des Saxons, il est devenu gouverneur. Il fait dorénavant contre mauvaise fortune bon coeur parce qu’il pourrait tout autant rentrer chez lui, mais non, il décide apparemment de rester fidèle au serment qu’il a autrefois fait à la Reine.
Il présente en outre l'avantage de rallier à lui l’estime de tous les autres chefs militaires. Ils ont eu à le combattre autrefois pour la plupart. Ils préfèrent donc certainement être dans son camp pour cette ultime bataille, même si cette fois-ci, l’adversaire est vraiment légion et monstrueux. Le camp retranché se transforme en ville fortifiée et sert d’ultime rempart aux forces ennemies pour permettre que les plus faibles et les plus fragiles prennent le bateau pour le continent… tant qu’il reste des embarcations pour ce faire. Les assauts des Morts-Noyés sont d’une régularité tout aussi effrayante que leur force et leur nombre qui semblent tous deux infinis. Durant cette ultime résistance, des Consuls se révèlent et l’on comprend que ces généraux marchent aux côtés du « Seigneur des Eaux Profondes » tel que fut parfois nommé le Thane durant cette période.

Chants de guerre pour danse de paix

Le combat s’achève dans une tempête d’acier. Les créatures ancestrales qui se sont relevées elles aussi, rejoignent enfin la bataille. Hamlet Vanessen, le Roi des Danes, revenu tantôt d’entre les morts lui aussi, armé d’un Mjölnir fort à propos, mène les Morts-Noyés au-devant des derniers combattants bretons.
L’union sacrée prévaut et longtemps les combattants bretons ont le dessus, jusqu’à ce qu’Hamlet fasse parler son marteau et des forces supérieures sont bientôt nécessairement convoquées pour abattre les morts noyés. Les Consuls font démonstration de pouvoirs jusque-là inédits. Par ici ils figent des guerriers lourds d’un seul mot avant que de les fendre de leurs lames d’acier noir. Par là ils détournent d’un geste la charge des Sarmates et le combat s’éternise au point de sembler déjà perdu.
Le goût de la défaite annoncée n’est pas si amer pour les combattants qui donnent alors tout ce qu’ils ont. En face, les motivations d’Hamlet semblent changer au fur et à mesure des combats. Lors d’un banquet donné en soirée, comme monté pour une veillée funèbre, il dit aux bardes et skaldes qu’il a convoqués, être revenu offrir une mort glorieuse à ceux que les anciens dieux ont abandonnés.
D’une improbable confiance en ses propres mots, il obtient que les bretons et leurs alliés chantent les funérailles guerrières de ses hommes avant les batailles du lendemain, pour qu’ils puissent ensuite revendiquer leur place au Valhalla... Et les défenseurs de Britannia de s’exécuter, reconnaissant la noblesse de ce geste devant l’éternité. Puis la bataille fait rage et… le « héros » mort-vivant est finalement vaincu.
Ses soldats décharnés et imbibés de l’Enfer liquide des grecs, sont quant à eux repoussés vers le nord. Comment cela fut-il possible ? Il est rapporté que ce fut grâce à la complainte de la Pythie venue de Byzance et dit-on aussi, par le pouvoir que Myrdhinn possédait alors encore sur son territoire du Dyfed.
Depuis ce moment, Myrdhinn a disparu et n’a pas donné le moindre signe de vie. Personne ne sait dire ce qu’il est advenu de lui. On raconte même qu’il serait mort des suites de ce sortilège particulièrement puissant, prononcé pour participer à la victoire de Britannia.
Ainsi se termine le sauvetage de la Bretagne par les bretons et leurs alliés de circonstance. A quel point et de quel poids cela pèsera sur la destinée du pays ? C’est justement de cela qu’il sera bientôt question.

LES ACCORDS DE GRANIT ET DE PAPIER

Jorel Thulsen · 06 - Les Accords de Granit et de Papier

Défaire la guerre Ecrire la paix

Le dernier acte de cette première saga est un épilogue de la guerre, mais aussi le premier chapitre d’une reconstruction que tous les habitants de l’île espèrent de toute leur âme. Quelques jours suffisent pour que l’île soit pratiquement reconquise et qu’il ne demeure des morts noyés qu’en Alba, là où les murs romains encore trop solides, empêchèrent le charme de la Pythie ou le pouvoir de Myrdhinn de s’étendre. L’Oracle grecque fit « danser les morts » et cette manœuvre sauva l’armée bretonne. En tous les cas, c’est ainsi que Byzance voit les choses et elle le fait savoir à toutes et tous en maintenant pour l’instant sa présence sur l’île.
Le granit évoqué dans l’entête de ce chapitre de la Geste est cette roche basaltique qui porte la marque du Thane. Son identité n’est plus un secret depuis qu’un coin de son manteau rocheux fut soulevé. Son nom a même retenti quelques fois pour ricocher d’un écho métallique sur le mont Badon, lorsque son mystère fut partiellement révélé.
Depuis, tous s’accordent pour ne plus le prononcer en vain. CuChulain est donc, cela est entendu entre les érudits, le fameux Thane du Nadir. Il repose certainement sous terre, ou sous la mer, personne n’est déjà assez instruit de son histoire pour être sûr de l’emplacement de sa prison. Sa prison oui, car il n’est peut-être pas complètement mort. Il paraît même évident qu’il y avait un peu de lui présent sur le mont Badon. Les druides s’accordent pour dire qu’il habitait le corps du Järl Hamlet Vanessen durant la bataille. Ils pensent aussi qu’il lui fit faire un certain nombre de choses à l’insu des pairs du royaume de Bretagne pendant l’été de douze saisons, bien avant de se déclarer comme ennemi au-devant de son armée de Morts-Noyés.
Depuis « la Seconde Bataille du Mont Badon » le Royaume de Man tient en sa possession des fragments de vertèbres de Thrall (Géant), gravés de symboles précis. Le Roi de Man n’a pas dit comment ni où ils furent trouvés.
Sont-ils encore d’une quelconque utilité ? Ces morceaux de matière enchantée témoignent de ce qu’Hamlet a délibérément cassé les scellements magiques qui retenaient le Thane en sa prison intermédiaire, sans doute située entre la terre et l’eau. Il put le faire grâce à son Mjölnir, le même qu’il utilisa lors de la bataille finale. Cela expliquerait pourquoi et comment il put étendre son pouvoir pour lever une armée de revenants issus de l’enfer alentour. Il a certainement fissuré le seuil de la prison du Thane.
La raison du sort qui fut infligé à CuChulain reste obscure. Pourquoi l’enfermer ? Pourquoi par ici ? Pourquoi l’emplacement de sa geôle est-il perdu ? Depuis quand est-il là ? Pourquoi un gardien qui aurait pu l’empêcher de nuire, n’a-t-il été placé devant le seuil de ce lieu ? Ou… question plus inquiétante, est-ce que tout ce qu’il advient à la Bretagne signifie qu’il y en eut un et qu’il a quitté son poste ? Si c’est le cas, pourquoi et qu’est-il advenu de lui ?
Non décidément, trop de questions persistent encore qui sabotent le mortier de la reconstruction du pays. Pourtant, chacun et chacune y va de son effort sincère, d’abord chez soi, mais pas seulement...
Au printemps 519 se rencontrent tantôt les sept couronnes. Cette fois-ci pour festoyer à la survie de la Bretagne, les morts victorieux enfin honorés comme il se devait de la faire. C’est à Urquhart en Alba que cela se passe alors, en les murs du siège du pouvoir du Roi Gareth. Il décida d’être l’hôte de ce rassemblement parce que la Nouvelle Camelot, est à ce moment-là, encore en reconstruction.
C’est dans l’attente de savoir ce qui s’est dit et accompli lors de cette réunion au sommet de ce qui reste du pays, que les survivants commencent déjà à rebâtir sans attendre qu’on le leur ordonne.
Tous et toutes désirent maintenant le retour de la paix et de la tranquillité. « Et de cela aussi, il faut vous soucier prestement, Vos Majestés, Sire Orkney et Dame Pendragon ! » entend-on alors être répété partout dans le royaume...

Des mystères rincés par la pluie

Au début de l’AD 519 l’été n’est pas encore revenu et tous espèrent que ce sera le plus tard possible, car la dernière fois, il dura trois années complètes. Le printemps offre dorénavant un visage plus sec, il ne pleut que modérément et la marche naturelle des saisons semble rétablie.
Il est des pierres à déchiffrer, des édits à proclamer, des contrats à poser sur le papier, des morts à honorer et d’autres à tuer une seconde fois… C’est de tout cela que les pairs du Royaume de Bretagne discutent enfin à Urquhart, place forte du fief du Roi Gareth. Depuis qu’il fut établi qu’il a été sauvé par Myrdhinn, son histoire fait définitivement écho à celle d’Arthur. Par ailleurs, plusieurs indices et témoignages disent que c’est là que se trouvent les réponses espérées par tous et aussi, l’entrée de la prison du Thane. Comme ce serait commode n’est-ce pas ?
Pendant que sa Reine est devenue celle qui sauva la Bretagne des morts-noyés l’épée à la main, grâce lui en soit rendue, Gareth était à ses côtés. C’est au tour d’Elyr-Ann de veiller à la justice en leur royaume enfin rassemblé en un seul domaine, pendant qu’il accomplit de sceller la paix pour de bon, et tous l’espèrent, pour toujours. Le couple royal n’en a pas fini et sans doute ne se reposera-t-il jamais vraiment. Que dites-vous ? Le rôle des alliés à inscrire dans les livres pour la postérité ? Comment les remercier pour leur ingérence bénéfique ? Comment considérer les pairs du Royaume dorénavant ? Tout cela aussi doit être discuté, oui, mais nous verrons cela en son temps. Les derniers Morts Noyés doivent être éradiqués définitivement. Comment se fait-il d’ailleurs qu’il y en ait qui viennent de façon si dérisoire, pour encore tenter de tuer des bretons ?
Le Culte du Dragon a repris son essor, sans doute parce que les têtes couronnées ont proféré des promesses solennelles, alors qu’elles étaient rassemblées devant le Grand Ver de Cambria lors d’une courte trêve de la Seconde Bataille du Mont Badon. Ce fut l’occasion de se rendre compte que la Prêtresse du Dragon pourtant remplacée, a été ramenée de l’Autre Monde par son Maître aux écailles pourpres et à la tête blanche. L'Église byzantine fait déjà valoir ses droits par lettre de marque à tout bout de presbytère et de cimetière, puisqu’elle « a sauvé la Bretagne » et que le prix de la danse la plus chère de l’Histoire de cette île, doit encore être fixé et enfin payé. Pendant ce temps, les druides expliquent que tout le monde se trompe, que l’on doit plutôt la victoire aux chiens de rivière invoqués tantôt.
Le Culte de la Loutre apparaît d’ailleurs, entre autres choses impliquant des bains de rivière et des pintes de bière, comme pour concurrencer le vin des baptêmes Byzantin. Une frange non négligeable des survivants prend ça très au sérieux, surtout en ce qui concerne la bière !
Le sud cambrien est devenu un seul grand comté par le mariage du persistant Seigneur saxon Egmont Svenson et de Sylvia, la fille du roi de Man, même si cette famille-là, a tout à la fois des problèmes croisés d’allégeance et de religion à la suite de cette étrange et diplomatique union.
C’est dans ce brouillard persistant malgré la victoire, dans cette ambiance de vestiaire, ce temps d’après la guerre, que va se jouer l’avenir du pays et le prochain chapitre de…
… la Geste du Nadir.

guerrier